Une femme en composition : Hara Setsuko

    Une « fleur » particulière du Japon s’est éteinte au mois de septembre dernier, âgée de 95 ans. Actrice marquante de l’histoire du cinéma, comparée à Greta Garbo et auréolée de mystères personnels, HARA Setsuko incarne aussi un idéal féminin qui s’est affirmé grâce à une collaboration étroite, voire une symbiose, avec le grand OZU Yasujiro.

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Cinéaste de la compassion

      La compassion est une attitude, une inclination, une disposition et un sentiment dont l’expression artistique a donné au Japon d’immortels chefs d’œuvre. En littérature, le Heike monogatari est tout entier guidé et éclairé par elle, au point où la fameuse cloche de Gion, qui ouvre cette épopée guerrière et bouddhique, a acquis la stature d’un mythe et d’un symbole pour la culture de tout un pays. Au cinéma, KUROSAWA Akira apparaît comme une sorte de Victor Hugo de l’image, avec les misérables, les pauvres conduits au crime, qui hantent ses films dits ‘contemporains’ : du jeune assassin de Chien enragé au tortionnaire déséquilibré de cet autre film en noir et blanc : Entre le ciel et l’enfer. Pourtant, certains critiques ont dénoncé une certaine lourdeur, une insistance moralisatrice, chez ce grand maître du cinéma japonais.

       Avec KORE-EDA, ces critiques peuvent se taire : l’âge nouveau du cinéma japonais a trouvé son maître.

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Dernier samouraï, derniers Mohicans, derniers loups.

    Voici presque dix ans, le film Le dernier samouraï (2003) d’Edward Zwick m’apparaissait comme un charmant conte américano-japonais moderne, situé dans la période charnière de l’histoire du Japon, aux débuts traumatisants de l’ère Meiji. Le capitaine Nathan Algren apparaissait sous les traits rassurants d’un self made soldier, incarné par Tom CRUISE, appréciant les Japonais à l’ancienne comme d’autres héros de films aimaient les loups, les tribus et les formes primitives de l’anthropologie humaine, une espèce d’antiraciste surgi en pleine ère coloniale, qui aimait les squaws portant kimono. Ayant massacré des Indiens sur ordre et ne s’en remettant pas, il aurait pu carrément tomber amoureux des Aïnous, si le cinéaste Edward ZWICK avait osé un tel défi. WATANABE Ken était assez beau, en dernier samouraï ; on voyait son personnage (KATSUMOTO) attaché à un idéal impérial et féodal démodé mais émouvant, comme un Occidental de 1876 qui se serait habillé en Du Guesclin pour mourir en brave. Il aimait les tigres, chantait du Shomyo et dominait un fief « bio » avant la lettre. En 2008, j’avais même visité le magnifique sanctuaire ENGYO-JI, près d’Himeji, pour retrouver les lieux où le capitaine était conduit jusqu’à son aimable geôlier par son prochain compagnon de combat, auquel il trouverait un surnom tellement élégant : « Ben ». Et vraiment, sans le recours aux livres d’histoire, j’aurais pu traverser un mirage aurévillien, confondre KATSUMOTO et l’abbé de La Croix-Jugan, le dernier des Mohicans, ou encore Wotan avant d’être brûlé par Brünnehilde.

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Mizoguchi et l’actrice Sumako

     1947. Après la défaite et des décennies de nationalisme martial, tantôt mesuré, tantôt hystérique, le Japon connaît un appel d’air rouge sang de bœuf : nombre d’acteurs, d’écrivains et de cinéastes proclament haut et fort leurs idées sociales, leurs revendications démocratiques et progressistes, leur communisme, sans saisir en quoi leur élan pourrait profiter aux soviétiques, dont ils parodient et trahissent à la fois le modèle. Le cinéma est alors le réceptacle de revendications étouffées et de conceptions contre lesquelles la police, la censure, les divers systèmes d’espionnage luttaient implacablement pendant et avant la guerre, arrêtant les suspects, assassinant même les militants les plus excités, et mettant sur la touche des artistes jugés rebelles à l’effort de guerre.

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‘Megane’ : un film Zen ?

Non, il ne s’agit pas ici de la voiture Renault construite en 1995.

 Il s’agit d’un film (Megane, めがね, prononciation approximative mégané), qui date de 2007. Il a été écrit, dirigé et réalisé par OGIGAMI Naoko, cinéaste parmi les plus prometteuses du Japon (elle est née en 1972), et a fait l’objet de plusieurs critiques les unes favorables, les autres, teintées d’ironie injuste. Il est vrai que l’ayant vu au moins dix fois, et bénéficié de plusieurs conversations nourries à son sujet, animées par des Japonais au jugement très sûr, je comprends fort bien que des professionnels du cinéma aient été titillés par le langage cinématographique inhabituel auquel nous convie OGIGAMI Naoko, d’autant plus qu’il s’agit d’une comédie. Quant aux amateurs… ils me demanderont pourquoi parler d’un film qui n’est pas encore distribué en France, qui n’a fait l’objet que d’une présentation à la Maison de la culture du Japon à Paris (en 2010), et qui semble offrir de si redoutables difficultés.

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Hashiguchi sur le rivage

   Né en 1962 à Nagasaki – il a aujourd’hui cinquante trois ans –, HASHIGUCHI Ryosuke est diplômé de l’Université des Arts d’Osaka ; il est l’auteur d’une dizaine de films, avec une carrière par à coups qui ressemble à une aventure parfois incertaine. En dépit des difficultés de financement qu’il a rencontrées à plusieurs reprises, il s’impose comme l’un des principaux cinéastes contemporains, un vrai successeur de NARUSE ou d’OZU – successeur : ni héritier, ni tout à fait égal.

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Yamada Isuzu, traditionnelle et moderne

   Le Japon des années cinquante évoque un âge d’or. Il connaît non seulement des cinéastes de premier plan – parmi lesquels les quatre grands : Ozu, Mizoguchi, Kurosawa et Naruse –, des techniciens, des assistants, des compositeurs marquants, mais aussi des interprètes remarquables, souvent profonds. Parmi les actrices les plus notables, YAMADA Isuzu a fasciné plusieurs générations de Japonais. Si elle n’a pas connu de véritable carrière internationale, sa réputation a transpiré en Europe et aux Etats-Unis. Elle bénéficie en France de l’estime de rares cinéphiles, qui connaissent certains de ses rôles, et très peu son aventure personnelle.

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Pluie à Nagasaki : mémoire et temps

     Après avoir lu  le roman de MURATA Kiyoko intitulé Dans le chaudron (Naba no naka en japonais), prix Akutagawa de 1987, KUROSAWA Akira rédigea en quinze jours le scénario du film Rhapsodie d’août (1991), qui appartient à la dernière période de sa grande carrière de cinéaste.

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Le testament du soir, de Shindo Kaneto

Testament

     Ancien parmi les anciens, Shindo Kaneto est mort en 2012 à l’âge de cent ans, après avoir produit une centaine de films, jusqu’à 98 ans ! Ce grand cinéaste, d’un caractère trempé, avait été l’assistant de Mizoguchi pour le tournage des 47 rônins. En France, il s’est fait connaître par un chef d’œuvre sans paroles, L’île nue, en 1960, et Onibaba, en 1964. Malheureusement, en dehors de ces deux titres, la France a peu reconnu ce cinéaste, il est vrai davantage ‘domestique’ que Kurosawa, mais qui mériterait un autre sort : il paraît injuste qu’un artiste de moindre envergure comme KITANO Takeshi ait reçu la légion d’honneur, et non Shindo.

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