1947. Après la défaite et des décennies de nationalisme martial, tantôt mesuré, tantôt hystérique, le Japon connaît un appel d’air rouge sang de bœuf : nombre d’acteurs, d’écrivains et de cinéastes proclament haut et fort leurs idées sociales, leurs revendications démocratiques et progressistes, leur communisme, sans saisir en quoi leur élan pourrait profiter aux soviétiques, dont ils parodient et trahissent à la fois le modèle. Le cinéma est alors le réceptacle de revendications étouffées et de conceptions contre lesquelles la police, la censure, les divers systèmes d’espionnage luttaient implacablement pendant et avant la guerre, arrêtant les suspects, assassinant même les militants les plus excités, et mettant sur la touche des artistes jugés rebelles à l’effort de guerre.
Dazaï Osamu : l’enfant sans soleil
« J’ai vécu une vie remplie de honte.
Pour moi, la vie humaine est sans but. Je suis né dans un village du nord-est et j’étais déjà grand lorsque j’ai vu un train pour la première fois. En voyant, au-dessus de la gare, le pont où des gens montaient, descendaient, je ne comprenais pas qu’il était fait pour franchir les voies et je pensais que l’enceinte de la station était un lieu d’amusement à la mode étrangère, arrangé uniquement pour les personnes élégantes. Qui plus est, j’ai pensé ainsi assez longtemps. »
Le ton dépressif n’est pas si commun dans la littérature japonaise qu’il ne mérite d’être signalé. Il nous renvoie à l’un des quatre ou cinq monstres sacrés de la littérature japonaise du XXe siècle, DAZAÏ Osamu (太宰 治).
Les « internés » de Sibérie
Chaque année, à Tokyo, des associations d’anciens prisonniers japonais de l’URSS commémorent la mort de leurs camarades et se souviennent de la forme d’esclavage qu’ils ont subie plusieurs années durant. Si cette page du terrible XXe siècle ne diminue en rien les autres, écrites par le fanatisme et l’hystérie nationaliste héritée de Meiji, elle ne saurait être oubliée, et permet en outre d’expliquer la distance qui persiste aujourd’hui entre le Japon et la Russie.
Gare de Tokyo et nostalgie d’Edo
Ceux qui visitent Tokyo pour la première fois peuvent éprouver deux réactions très opposées lorsqu’ils pénètrent dans la gare centrale, Tokyo Ekki (ou « Tokyo station ») : les uns sentiront le vertige du gigantisme, la peur de se perdre en un tel labyrinthe ; les autres connaîtront inversement la fascination et le désir de se promener dans ce dédale. Au cours de mes premiers voyages, je fus pour ma part amusé par les jingles joyeux qui se faisaient entendre sur les quais, comme si voyager à Tokyo devait procéder de je ne sais quel instinct enfantin, et que ces musiques puériles dussent amortir l’aspect robotique de la circulation à pied induite par une gare kilométrique.
Le No, derrière le sommeil
Au Japon, la chaleur du mois d’août est envahissante. Les cigales stridulent leur tristesse mortelle quand meurt le jour, c’est le mois des morts, c’est Obon. Au cours de cette période diversement répartie selon les régions japonaises, les esprits des ancêtres et des membres de la famille disparus rendent visite aux foyers, où l’on a placé pour eux de la nourriture à l’intérieur de l’autel bouddhique, le butsudan. Le mois d’août est aussi la période la plus favorable pour se faire peur en regardant du Nô – devant la qualité de l’article « Nô » de Wikipedia, je ne me lancerai pas ici dans une description de cette forme dramatique à mi-chemin entre la cérémonie, l’opéra, le théâtre et le chamanisme.
‘Megane’ : un film Zen ?
Non, il ne s’agit pas ici de la voiture Renault construite en 1995.
Il s’agit d’un film (Megane, めがね, prononciation approximative mégané), qui date de 2007. Il a été écrit, dirigé et réalisé par OGIGAMI Naoko, cinéaste parmi les plus prometteuses du Japon (elle est née en 1972), et a fait l’objet de plusieurs critiques les unes favorables, les autres, teintées d’ironie injuste. Il est vrai que l’ayant vu au moins dix fois, et bénéficié de plusieurs conversations nourries à son sujet, animées par des Japonais au jugement très sûr, je comprends fort bien que des professionnels du cinéma aient été titillés par le langage cinématographique inhabituel auquel nous convie OGIGAMI Naoko, d’autant plus qu’il s’agit d’une comédie. Quant aux amateurs… ils me demanderont pourquoi parler d’un film qui n’est pas encore distribué en France, qui n’a fait l’objet que d’une présentation à la Maison de la culture du Japon à Paris (en 2010), et qui semble offrir de si redoutables difficultés.
Au col du Mont Shiokari
Dix heures de train, trois trains, un bus. Il n’en fallut pas moins pour atteindre le col du Mont Shiokari, cet été 2015. En pleine île d’Hokkaido, au nord d’Asahikawa, une ville de deux cent mille habitants, ce lieu serait largement oublié aujourd’hui sans le roman de MIURA Ayako (1922-1996). Les guides consacrés au Japon (y compris le très recommandable ‘Lonely Planet’) n’en parlent pas, et la plupart des touristes et des visiteurs n’en connaissent pas l’existence. De prime abord, ce site paraît assez anodin : une petite ligne de chemin de fer traverse une forêt de conifères au milieu des deux versants d’un mont légèrement pentu où domine un vert quasi sibérien. En surplomb, la maison de l’écrivain a été reconstituée pour être transformée en musée, peu de temps avant sa mort.
Les silences dans ‘Le pauvre coeur des hommes’ de Soseki
Paradoxe : ce roman de trois cents pages porte sur le silence.
Du silence, pourrait-on penser, il n’y a rien à dire, surtout si l’on est japonais. Mais peut-être ce roman offre-t-il à un non-japonais – mettons : un Français, un Européen – l’occasion d’apercevoir l’une des réalités les plus déconcertantes que le Japon puisse lui offrir. Là, non seulement il ne faut pas tout dire, mais c’est souvent l’essentiel qui doit être tu. Plus sévères encore que le Socrate du Phèdre, qui oppose la parole à l’écrit, les Japonais tiennent le non-dit comme un mode de communication ou de communion plus viable et plus rassurant, même s’il occasionne des erreurs d’interprétation, voire, des tragédies.
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Hashiguchi sur le rivage
Né en 1962 à Nagasaki – il a aujourd’hui cinquante trois ans –, HASHIGUCHI Ryosuke est diplômé de l’Université des Arts d’Osaka ; il est l’auteur d’une dizaine de films, avec une carrière par à coups qui ressemble à une aventure parfois incertaine. En dépit des difficultés de financement qu’il a rencontrées à plusieurs reprises, il s’impose comme l’un des principaux cinéastes contemporains, un vrai successeur de NARUSE ou d’OZU – successeur : ni héritier, ni tout à fait égal.
Yamada Isuzu, traditionnelle et moderne
Le Japon des années cinquante évoque un âge d’or. Il connaît non seulement des cinéastes de premier plan – parmi lesquels les quatre grands : Ozu, Mizoguchi, Kurosawa et Naruse –, des techniciens, des assistants, des compositeurs marquants, mais aussi des interprètes remarquables, souvent profonds. Parmi les actrices les plus notables, YAMADA Isuzu a fasciné plusieurs générations de Japonais. Si elle n’a pas connu de véritable carrière internationale, sa réputation a transpiré en Europe et aux Etats-Unis. Elle bénéficie en France de l’estime de rares cinéphiles, qui connaissent certains de ses rôles, et très peu son aventure personnelle.
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