L’esprit de Pierre de Coubertin et des premiers Jeux Olympiques modernes (1896) ne parvient malheureusement pas à s’imposer au Comité International Olympique. Coubertin rêvait d’éducation, de partage, il exaltait l’esprit sportif : la post-modernité a transformé le sport international en rituel monétaire d’une extrême opacité, où sont comptées pour rien les attentes des populations.
Des gouvernements décident d’accueillir les « J.O. » et y préparent leur population sans que l’on soit assuré que celle-ci le désire vraiment. Ce n’est pas certes que le goût du sport y fasse défaut : lorsqu’un citoyen du pays en question considère l’obscurité des tractations, les contrats astronomiques qui se signent avec les chaînes de télévision et autres organes de diffusion, les clientèles qu’entretient indirectement le Comité International Olympique (association non gouvernementale), qu’il apprend qu’en définitive, son pays dépensera plus qu’il ne gagnera, et qu’il se trouve pris en otage par le mariage douteux entre le « Sport » et l’Argent, il est en droit de douter et de bouder. En ajoutant à ces réalités bien connues celle du Covid, nous obtenons un portrait du Japon actuel.
La préparation des « J.O. » à Tokyo a mal commencé. Dès 2015, le projet de stade futuriste conçu par la brillante architecte anglo-irakienne Zaha Hadid fut abandonné, en raison de son coût énorme. Six ans plus tard, les « Jeux Olympiques de 2020 » doivent se tenir « sans spectateur » pour des raisons sanitaires. Coubertin se retourne certainement dans sa tombe : la ‘post-modernité’ devait inventer un tel prodige : des jeux olympiques sans spectateurs ! Les journaux japonais font savoir que des pétitions sont lancées contre cette plaisanterie ; des voix s’élèvent. Certains demandent un second report, d’autres, l’annulation pure et simple. Mais ces critiques sont vite étouffées par les fanfares officielles et l’orchestration du commerce.
Le CIO prétend que ces « J.O. » s’articulent autour de trois notions : « faire de son mieux » (il est vrai que les Japonais n’y sont pas habitués !) ; « s’accepter les uns les autres » et « transmettre aux générations futures. » Moralistes, les « J.O. de 2020 », qui doivent se tenir coûte que coûte en 2021, ont trouvé un fameux slogan pour le relais de la flamme olympique : « L’espoir éclair notre chemin ». L’inclusion obligatoire des sportifs, des spectateurs virtuels et du reste du monde a pour condition ces mots creux, qui n’engagent à rien et ne parlent de personne. Face à ce conditionnement, le citoyen japonais affronte une réalité qui le dépasse : ces ‘jeux’ (les plus coûteux de l’histoire) reviennent à 13 milliards d’euros (budget de fonctionnement, construction et aménagement des infrastructures). Il doit déjà renoncer aux 673 millions d’euros que l’on attend des spectateurs. Il a pour obligation d’admettre que le coût prodigieux des « J.O. » sert avant tout à financer… le « monde olympique » lui-même. Ce citoyen, qui a la mémoire longue, a aussi l’impression que les « Jeux Olympiques » sont surtout une affaire occidentale. Tant de contrats ont été signés, tant de produits dérivés ont été fabriqués et ont suivi l’ensemble de la chaîne commerciale, tant de lieux ont été aménagés et construits, et de sportifs préparés, qu’un report ou une annulation paraissent inenvisageables aux organisateurs. Tout doit commencer impérativement le 23 juillet prochain.
Cependant, les « soignants » japonais font savoir qu’ils craignent de se trouver débordés par le nombre des malades atteints par le virus. D’ores et déjà, ils annoncent qu’ils se trouveront dépassés – les variants du virus (notamment ‘indiens’) tendent à proliférer au Japon, pays où le confinement et le couvre-feu ne peuvent être que recommandés, et non imposés par l’Etat. Face aux dangers de l’épidémie, par égards pour les soignants, et sans doute aussi, par respect des morts, 70% des Japonais se sont récemment déclarés hostiles à la tenue des « J.O. » dans leur pays, y compris l’écrivain Hirano Keiichiro.
Vouloir tenir des « J.O. » dans les circonstances présentes entache sérieusement l’image de ces Jeux déjà si critiqués d’ordinaire pour leur aspect artificiel et intéressé. Ces Jeux pourraient facilement se voir accuser de morbidité et de déni face aux réalités de la santé publique. Des « J.O. » coûte que coûte ne feraient que renforcer les soupçons et les critiques qui pèsent sur eux depuis des décennies, comme un trop plein lamentable.