Abe Akie, first lady du Japon

    Par esprit de contradiction avec les articles nourris d’anti-japonisme qui paraissent actuellement (ressassements autour de la guerre, dénonciation de la pêche à la baleine, sottises autour de l’abdication du Tenno et de son successeur), j’évoquerai ici l’épouse du Premier Ministre ABE Shinzo, une figure féminine intéressante parce qu’elle nous aide à connaître ou à comprendre le Japon d’aujourd’hui.

    Depuis plusieurs années, ABE Akie (安倍 昭恵) a acquis une stature populaire tout à fait inédite dans un pays où la first lady est généralement reléguée au second ordre, dans l’ombre de son mari. Issue de la famille Morinaga, propriétaire d’une très importante et fameuse marque de petits gâteaux, Madame ABE donne aux Japonaises une image plus moderne et plus ouverte de la femme. Née en 1962, elle a suivi des études à l’Université catholique du Sacré-Cœur à Tokyo, pour les compléter ensuite, en 2011, par un master en études sociales du design, à l’Université Rykkio. Son mariage avec ABE Shinzo, lui-même issu d’une famille illustre et puissante, remonte à 1987.

    Accompagnant souvent son mari dans ses déplacements, elle est devenue l’amie de plusieurs épouses de chefs d’Etat, à commencer par Michèle Obama. Récemment, elle a étonné le couple Trump au cours d’une soirée arrosée, sous l’œil indulgent et peut-être amusé de son époux. Ne participe-t-elle pas au succès de son mari, dont la longévité exceptionnelle du mandat ne cesse de s’affirmer ? Mais Madame ABE a su aussi affronter les difficultés de son époux au cours de son premier mandat. Entre l’impopularité et la démission de ministres touchés par des scandales, le maintien d’ABE au pouvoir devenait périlleux. Le couple ne pouvant pas avoir d’enfant, il a dû probablement souffrir de persiflages divers et d’un certain manque de délicatesse : autour de 2007, les ABE plongèrent tous deux dans la dépression, au point où le Premier Ministre prit la décision de mettre prématurément terme à son mandat. Ce départ avait été traité avec ironie par des commentateurs qui n’étaient pas toujours au fait des circonstances, et ne voyaient que la dimension publique de ce départ.

Abe Akie avec Melania Trump, en visite au Morikami Museum et son jardin japonais, en Floride (Delray Beach). Février 2017.

    Une solidarité admirable permit cependant au couple de se redresser, et à M. ABE de développer ses qualités de candidat, puis de Premier Ministre, poste suprême qu’il retrouva en 2012 grâce à une ascension fulgurante. Depuis KOIZUMI Junichiro, aucun Premier Ministre japonais n’est demeuré aussi longtemps au pouvoir.

    Un certain nombre de journaux occidentaux qualifient ABE Shinzo de « nationaliste », voire d’ « hyper nationaliste » – les uns pour cautionner l’image du Japon véhiculée par le pouvoir chinois, les autres, en ignorant à peu près tout de la géopolitique et de la politique intérieure japonaises. Quoi que l’on pense du Parti Libéral Conservateur qui domine le Japon depuis 1952, il faut constater que Madame ABE ne se laisse pas impressionner. Elle a osé plusieurs déclarations qui ne vont pas dans le sens du vent, et s’opposent même à la politique d’ABE Shinzo. Quoique ce dernier ait traité sans hostilité la question de l’extension du mariage aux personnes homosexuelles (la renvoyant surtout à un problème politique et juridique d’ordre technique), il faut reconnaître que Madame ABE est allée plus loin que lui sur cette question. Elle a pris position en faveur des personnes homosexuelles en se rendant à la Gay Pride de Tokyo en 2014, et a défendu le principe de cette extension du mariage : « je veux aider la construction d’une société où chacun peut travailler à son bonheur […] sans rencontrer de discrimination. » (1)

    Souvent, on considère que Mme ABE représente un parti d’opposition auprès du Premier Ministre. Elle a critiqué ouvertement le Partenariat Trans-Pacifique proposé par les Etats-Unis et soutenu par son mari, mais aussi le projet de murs à bâtir dans le Tohoku, dont le coût représenterait environ huit milliards de dollars. Elle critique le danger nucléaire alors que le gouvernement considère que cette source d’énergie est pour le moment indispensable.

    Tandis que le Japon traverse régulièrement des poussées de colère contre les Coréens – ces derniers stigmatisant aussi régulièrement leur puissant voisin –, Mme ABE n’hésite pas à avouer publiquement son goût pour la musique sud-coréenne. Comme elle l’a déclaré au journal Dong-A Ilbo, journal de Corée du Sud, les musiciens japonais ont intérêt à prendre en considération l’apport et la valeur de leurs pairs coréens. Avec audace, elle a critiqué l’une des principales sources du malheur des femmes japonaises : le règne des stéréotypes féminins auxquels elles se prêtent elles-mêmes, dans une standardisation et une artificialité redoutables, qui exaspèrent les schémas hétérosexuels, y compris dans le domaine du travail. (2)

    D’un autre côté, cette first lady – la première dans l’histoire du Japon – joue un rôle non officiel mais utile auprès de son époux. Elle a rendu visite à Pearl-Harbor plusieurs mois avant son époux, préparant ainsi le succès de cette journée d’hommage partagée avec le président OBAMA. Sa visite aux Philippines, et sa rencontre avec l’épouse du président Duterte relevait de la même volonté de réconciliation. Elle a soutenu le programme de Michèle Obama, intitulé « Let Girls Learn », qu’elle a introduit au Japon. Cet intérêt pour les questions sociales est une des raisons pour lesquelles la page Facebook de Mme ABE est suivie avec régularité par plus de cent mille personnes.

Aux côtés de son mari, le Premier Ministre Abe Shinzo

    Le prétendu parti d’opposition qu’elle représenterait correspond surtout, semble-t-il, à cet effet de balance et d’ajustement que l’on observe dans les couples où l’amour est sincère et réciproque. La présence d’ABE Akie auprès d’ABE Shinzo nuance en tout cas le portrait de ce dernier, dans la mesure où il accorde à son épouse une liberté d’action et de parole peu courante au Japon. Elle donne à ce couple une image plus intéressante, parfois plus piquante, que celle que délivrent la plupart des couples où l’époque recherche une représentation du pouvoir.

(1) Daniel S. Levine : « Akie Abe, Shinzo Abe’s wife : 5 fast facts you need to know », Heavy, 10 février 2017.
(2) « Akie Abe, wife of Japanese prime minister, condemns country’s ‘cute culture’». New York Times, 12 décembre 2016.

Une réflexion sur « Abe Akie, first lady du Japon »

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