Histoires et dictionnaires de littérature japonaise

  Depuis les années 1990, la littérature japonaise connaît en France un intérêt qui ne s’est pas encore démenti. Présente auparavant grâce à des maisons d’édition spécialisées, hélas disparues, comme Maisonneuve et Larose ou les Presses Orientalistes de France, elle s’était affirmée aussi à l’intérieur du catalogue de Folio/Gallimard (Mishima, Tanizaki) ou de celui du Livre de Poche (Kawabata, Abe Kobo, Ooka Shohei). La collection « Connaissance de l’Orient », chez Gallimard, propose également (depuis les années cinquante) un trésor de grands ‘classiques’, servis par des traductions jugées très remarquables par les spécialistes (comme Les heures oisives d’Urabe Kenko, ou bien Le pauvre cœur des hommes et Sanshiro de Sôseki). L’engouement récent pour la littérature japonaise s’est exprimé surtout à travers les éditions Philippe Picquier, qui ont publié un grand nombre de textes, surtout contemporains : elles ont su saisir au bon moment la vague nipponophile qui a soulevé le lectorat français. Ce tableau forcément incomplet se doit de mentionner aussi les éditions Verdier, qui ont très courageusement publié le Heike monogatari, le Heiji monogatari et le Hogen monogatari, tous trois monuments de l’histoire littéraire japonaise, les romans et nouvelles publiés aux éditions Le Rocher, et encore l’incomparable édition illustrée du Genji monogatari par Diane de Selliers.

     Le lecteur amateur peut se demander maintenant de quels outils il dispose pour avancer dans la connaissance de la littérature japonaise, lorsqu’il ne lui est pas permis d’en apprécier directement la langue, et que les sites Internet, parfois inégaux, ne lui suffisent pas.

     Quels panoramas de la littérature japonaise peut-on recommander ?

  Le premier outil sur lequel je me suis précipité, dès que je fus atteint par la curiosité à l’égard de la dimension historique de la littérature japonaise, ce fut l’excellent « Que sais-je ? » (n°710), signé par deux spécialistes réputés, Jacqueline Pigeot et Jean-Jacques Tschudin (la première édition, de 1983, a été revue en 1995, et a été l’objet de remaniements récents). Sobre, précis, il présente l’avantage de la synthèse, qui est le principe de cette célèbre collection.

  La deuxième référence, également publiée par les Presses Universitaires de France, est Le Dictionnaire de littérature japonaise (2000) publiée sous la direction de Jean-Jacques Origas (à l’intérieur du « Dictionnaire universel des littératures », collection dirigée par Béatrice Didier). On ne trouvera pas en langue française un meilleur descriptif de la littérature japonaise, sans l’unité – d’ailleurs réductrice ? – qu’impliquerait un récit historique. Origas, renommé professeur qui enseigna à des centaines de japonisants à l’Inalco, rassemble ici quatre-vingt spécialistes français et japonais – on citera là encore Jacqueline Pigeot, René Sieffert, Jean-Jacques Tschudin, Anne Cecchi –, pour offrir un dictionnaire aux perspectives très larges qu’il sera difficile de remplacer. S’il s’agit d’un dictionnaire (et qu’il comporte des articles d’une substance parfois inégale), celui-ci ne se borne pas à des entrées par nom propre : il comporte en outre des articles spécifiques qui permettent de mieux saisir certaines particularités de la littérature japonaise. Par exemple, l’article « Edo » décrit les récits romanesques de l’ère Edo, notamment les livres populaires ; ou bien le terme « monogatari » fait l’objet d’un article à mi-chemin entre la lexicologie et l’encyclopédie. On notera à cet égard que le pendant chinois de ce livre (La littérature chinoise, dirigé par André Lévy), comporte un article consacré à la littérature japonaise en kanbun. A mon point de vue, ce dictionnaire présente surtout l’intérêt de renseigner le non-japonisant sur la littérature japonaise non traduite en français, qui demeure pour lui l’équivalent d’une immense forêt interdite. Mais alors, que de noms inconnus, que d’ouvrages aux titres alléchants !

  On peut aussi se munir d’une anthologie, et l’on trouvera alors l’intéressant Mille ans de littérature japonaise, publié en 2005 aux éditions Picquier par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty. Chaque extrait est l’objet d’une brève introduction qui en facilite la lecture. Il s’agit d’un ouvrage commode, qui présente l’avantage de faire goûter aux textes, par l’entremise de deux traducteurs reconnus. En revanche, il importe de noter que le choix s’ouvre au VIIIe siècle (Journal de Tosa) et se referme au XVIIIe siècle – un appendice initie toutefois le lecteur au XXe siècle avec un extrait des recherches du folkloriste Kunio Yanagida et un extrait de l’essai La structure de l’ikki du philosophe Shuzo Kuki. On ne trouvera donc pas ici d’extraits de Tanizaki ni de Kawabata. Cet ouvrage comporte un glossaire, un tableau chronologique et une brève bibliographie.

Oé Kenzaburo et Kato Shuichi

  Pour aller plus loin, l’Histoire de la littérature japonaise de Kato Shuichi (Fayard, 1985) continue de faire autorité, bien qu’il devienne difficile de la trouver en librairie. Les trois volumes qu’elle forme offrent une très riche synthèse en même temps qu’un point de vue critique personnel à leur auteur. Historien des idées, Kato Shuichi (1919-2008) fut en effet un homme d’idées, un pacifiste engagé notamment auprès d’Oé Kenzaburo pour défendre la lettre et l’esprit du fameux article 9 de la Constitution. A ma connaissance, il s’agit de la seule histoire de la littérature japonaise écrite par un Japonais, qui soit traduite dans notre langue (elle l’a également été aux Etats-Unis et en Angleterre). On peut regretter que d’autres ouvrages de référence, rédigés par des universitaires japonais, ne soient pas traduits en français – Jean-Jacques Origas cite par exemple le Nihon bungaku daijiten (Grand dictionnaire de la littérature japonaise de Fujimara Tsukuru, 1949-1952), ou bien le Dictionnaire Shincho de la littérature japonaise, 1988).

 

  Et puisque la curiosité de mon lecteur se montre insatiable, qu’elle s’avive à mesure de son enivrement, je lui recommanderai par-dessus tout l’immense fresque du très estimé Donald Keene. Ce grand savant, traducteur d’un nombre impressionnant de grands textes classiques et modernes de la littérature japonaise, consacre près de cinq mille pages (en quatre volumes) à ce domaine qui a tellement nourri sa vie universitaire et intellectuelle : A History of Japanese Literature se compose ainsi de : Seeds in the Heart, Japanese Literature from Earliest Times to the Late Sixteeth Century ; puis de World within Walls, Japanese Literature of the pre-modern Era ; ensuite on trouve Dawn to the West : Japanese Literature in the Modern Era : Fiction ; et sa suite : Dawn to the West, Poetry, Drama, Criticism. Publiée par l’Université Columbia de New York en 1987, rééditée en 1999-2000, cette somme magistrale dépasse toutes les autres références par sa richesse et son unité. Puisque l’Université française n’a pas encore trouvé les moyens – financiers, sans doute – pour produire un outil équivalent, on n’hésitera pas à se lancer dans cette vaste entreprise américaine, où Donald Keene montre un sérieux et une intelligence critique admirables.

    Naturellement, ce sondage parmi les histoires et dictionnaires de littérature japonaise ne se veut nullement exhaustif. Il faudrait encore rendre compte de Treize siècles de lettres japonaises (du VIIe au XXe siècle), de René Sieffert (Presses Orientalistes de France, 2001, deux volumes introuvables), ou de l’Histoire de la littérature japonaise publiée en 2008 chez Ellipses par Jean Guillamaud, et citer des ouvrages spécifiques, comme l’Histoire de la littérature japonaise populaire, de Cécile Sakaï. Il m’a semblé utile de me borner aux références auxquelles je suis moi-même le plus habitué, pour que cet article ne devienne pas une bibliographie déguisée.

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